Nous souhaitons développer une chaîne de modélisation et de traitement automatique qui permette de visualiser et d'analyser, en trois dimensions, l'évolution de la forme d'un fossile humain à partir d'images tridimensionnelles. Celle-ci peut se décomposer en les étapes suivantes :
• acquisition de l'image et segmentation de la structure : les images scanographiques sont de plus en plus utilisées en paléo-anthropologie. Les systèmes d'acquisition utilisés couramment en radiologie médicale permettent de discerner des détails de 1 mm de côté et les micro-scanographes spécialisés atteignent une résolution de 100 microns. Le premier problème consiste à détourer automatiquement la structure à étudier. La segmentation peut paraître relativement simple puisque la différence d'intensité est généralement importante entre le fossile et le fond de l'image. Mais si nous voulons récupérer avec précision les structures anatomiques fines de forme très complexes (comme les sinus crâniens ou l'oreille interne) ou si le fossile est inclus dans une gangue rocheuse, il est nécessaire d'appliquer des filtrages rehausseurs de contraste.
Une fois la structure isolée, il faut reconstruire un modèle de sa surface et deux types de méthodes sont généralement utilisés. Les premières dérivent de l'algorithme du " Marching Cubes " et fournissent un modèle discret qui peut être excessivement détaillé. Il est alors nécessaire de réduire le maillage en supprimant des facettes. Les secondes consistent à relier entre elles les frontières de la structure extraites dans chaque coupe de l'image. Ces méthodes peuvent fournir directement des modèles moins détaillés mais se heurtent quelquefois à des problèmes de choix topologique.
Toutes ces techniques devront être soigneusement testées sur les images de fossiles disponibles afin de définir le meilleur protocole.
• "reconstruction" au sens paléontologique : elle consiste à associer différentes structures, qui peuvent provenir de différents fossiles, pour essayer de reconstituer un fossile complet. Ce travail d'interprétation ne peut être effectué que par un paléontologue très expérimenté et nécessite de puissants et ergonomiques outils d'interaction et de visualisation tridimensionnels pour manipuler les fragments "virtuels". Il se pose aussi un très intéressant problème de fusion des différents modèles : comment extrapoler le modèle complet entre les jointures imparfaites et lisser les irrégularités ? Une réponse pourrait provenir de l'utilisation des maillages simplexes qui proposent des opérateurs de fusion et de régularisation.
• extraction automatique de repères : afin de pouvoir comparer différents fossiles, il est nécessaire de détecter des repères communs à toutes les structures. En général, ces repères sont des points relevés manuellement sous la supervision du paléo-anthropologue. De ce fait, il sont souvent en petit nombre - quelques dizaines - et rassemblés sur des axes ou des plans privilégiés comme le plan mi-sagittal pour un crâne. Or, pour pleinement appréhender la forme complexe d'un fossile en trois dimensions, il faut être capable de recueillir un très grand nombre de repères (plusieurs centaines, voire plusieurs milliers), répartis sur toute la structure et ceci ne peut être effectué que par un processus automatique.
Les repères envisagés doivent donc avoir une définition mathématique pour être extraits automatiquement dans les images tridimensionnelles et une signification anatomique afin d'être caractéristiques de la structure étudiée.
• mise en correspondance automatique : cette étape consiste à retrouver dans la première structure quel repère correspond à quel repère dans la seconde. Une première classe de méthodes automatiques est fondée sur les repères eux-mêmes alors qu'une deuxième classe utilise l'information des intensités de toute l'image pour déformer et superposer au mieux la deuxième structure vers la première. Cependant, un important travail d'adaptation et de validation reste à accomplir dans le cadre d'une application paléontologique. En effet, les structures fossiles sont incomplètes, ce qui pose des problèmes d'occultation. De surcroît, si elles proviennent de lignées différentes, elles peuvent présenter des formes très éloignées qui risquent de mettre en échec les algorithmes de mise en correspondance non-rigide existants.
• compensation des déformations taphonomiques, c'est-à-dire qui ont été appliquées au fossile post-mortem, du fait, par exemple, des contraintes géologiques (mouvements de terrain, poids des couches supérieures, etc.). Il faut pouvoir les identifier afin de redonner au fossile sa forme originelle pour l'étudier. Dans certains cas, il peut s'agit d'une compression si importante que le fossile a perdu toutes ses proportions ! Sur ce problème, très peu étudié, nous proposons trois méthodes de compensation :
o par auto-cohérence, qui consiste à se fonder sur des repères fiables de la structure. Par exemple, la recherche automatique d'un plan de symétrie permet de retrouver précisément l'inclinaison du plan mi-sagittal et de "redresser" un crâne fossile.
o par comparaison, qui consiste à mettre en correspondance la structure étudiée avec d'autres fossiles ou un modèle de référence. Il est alors possible de calculer des transformations globales qui peuvent être considérées comme des déformations taphonomiques. En calculant leur inverse, nous "redressons" le fossile.
o par la prise en compte de la modélisation géologique et environnementale. L'analyse des modélisations du sous-sol et de l'environnement peut permettre de retrouver la forme initiale des couches du lieu de fouille. Ces informations peuvent alors être utilisées pour connaître les contraintes qui ont pu s'appliquer au fossile comme les flexions ou les tassements. En définissant un modèle physique pour le fossile (en première approximation, la loi linéaire élastique), il devient possible de retrouver les déplacements qui ont été induits. Cette idée nous semble très prometteuse car nous nous fondons sur une véritable modélisation, contrairement aux méthodes précédentes qui sont plus heuristiques et où les déformations taphonomiques et la variabilité anatomique peuvent être aisément confondues.
• normalisation géométrique : afin de n'étudier que les différences de morphologie pure, nous devons faire abstraction de certaines différences entre deux structures fossiles, comme la taille, la position et l'orientation et les mettre dans un repère de référence.
• calcul d'une transformation tridimensionnelle : une fois que nous connaissons les correspondances entre les deux structures, nous pouvons calculer une transformation tridimensionnelle qui les superpose " au mieux " et va servir de base pour l'étude morphométrique des différences et permettre de les visualiser. Cette transformation peut-être :
o paramétrique : cela implique de définir mathématiquement une classe de fonctions qui puisse généraliser dans tout l'espace les relations de correspondances, souvent discrètes, et qui possède certaines propriétés de régularité. Une des méthodes les plus utilisées en morphométrie est fondée sur les Thin-Plate Spline.
o discrète : il s'agit alors de généraliser le champ de vecteurs de correspondance en extrapolant localement de nouveaux vecteurs. Les travaux actuels, par exemple issus de la théorie du " kriging " en géologie, sont fondés sur des lissages locaux ou isotropes, ce qui peut fausser l'extrapolation.
• étude morphométrique : la morphométrie a été révolutionnée par l'introduction de la morphométrie géométrique, formalisée dans les années 1980. Les outils proposés se fondent sur l'utilisation d'un grand nombre de repères distribués sur toute la structure qui permettent de construire une fonction de déformation tridimensionnelle. Celle-ci est alors décomposée sur une base, si possible orthogonale, de fonctions dont les composantes donnent des indications sur les différences de forme. La plus grande difficulté provient de la définition même de cette base ; l'idéal serait que les fonctions qui la constituent caractérisent des déformations " significatives " du point de vue de l'application. Malheureusement, les déformations dues à l'Evolution sont si complexes que nous ne savons pas les définir. Aussi, les méthodes actuelles utilisent-elles souvent les bases mathématiques classiques, à savoir polynomiales (dans le cas de fonctions splines) ou trigonométriques (dans le cas de décomposition de Fourier) et les composantes obtenues, si elles sont calculables, ne sont pas toujours pertinentes.
Une fois que nous avons obtenu les paramètres de déformation, il faut les analyser statistiquement. Il s'offre alors à nous un champ incroyable de recherches : comment effectuer une analyse et des tests multivariés ; quelles loi de probabilité choisir pour les paramètres ; comment introduire une fiabilité pour le calcul de chaque paramètre qui peut être liée à des imprécisions de localisation de repères ou de mise en correspondance ; comment séparer ou corréler les différences dues à l'Evolution, la croissance ou aux variations inter-individuelles ?
• reconstruction faciale 3D : cette application très innovante consiste à la forme du visage inconnu à partir des données du crâne, en supposant que la surface de la peau suit celle de l'os. Nous comptons tester une méthode entièrement automatique qui déforme un visage de référence en fonction de la transformation tridimensionnelles calculée entre le crâne de référence et le crâne fossile.